Des élections paroissiales très animées à Ecuvillens-Posieux ……en 1881
Histoire de notre commune / par Memo / 78 vues
Sous ce titre très aguicheur, voire provocateur, se cache une réalité propre à l’histoire de la 2e partie du 19es. surtout. Et notre région n’y échappe pas. En préambule, il est bon de rappeler de manière très succincte certains événements de cette époque)
- En septembre 1848, la Suisse abroge le pacte de 1815 et se donne une nouvelle constitution. La Suisse devient un Etat fédératif avec le système politique que nous connaissons encore.
- 1847 : régime radical dans le canton de Fribourg
- 1848 : le couvent de Hauterive doit verser, à lui seul, 400000 francs à l’Etat de Fribourg. Le couvent est supprimé et n’accueillera à nouveau des moines qu’en 1939. Plus de 50 monastères furent supprimés en Suisse.
- 1852, le 24 mai : assemblée des conservateurs-catholiques à Posieux
- 1857 : fin du régime radical et avènement du régime conservateur.
- vers 1870 : mouvement du « Kulturkampf » (lutte, combat pour la civilisation), anti-clérical, provenant d’Allemagne.
- il faut noter que les luttes furent très animées : ainsi l’évêque de notre diocèse, Mgr Marilley fut emprisonné au château de Chillon pendant 7 semaines puis fut exilé hors de nos frontières à Evian. Il revint en 1856 après 8 ans d’exil.
- 1874 : nouvelle constitution en Suisse, expulsion des Jésuites. Ce sont les fameux « articles d’exception » qui ne furent supprimés qu’en 1973 et 1999. Notons que les femmes n’eurent le droit de vote qu’en 1971 sur le plan fédéral. Cette dernière remarque est hors du présent sujet.
- Il faut aussi noter, mais ceci est une simple constatation, que tous les Conseillers fédéraux de 1848 à 1891 furent, sans exception, des radicaux. Pour la petite ou la grande histoire le premier non-radical fut le Lucernois conservateur Joseph Zempf.
Vers 1890, heureusement, la paix confessionnelle est rétablie
Pour mieux comprendre cet antagonisme conservateur/radical je me permets une « définition » schématisée proposée par le parti conservateur : « La différence fondamentale entre les deux partis ne se manifeste que dans la question religieuse. Pour les conservateurs, les principes chrétiens doivent imprégner toute la vie et les corporations publiques sont tenues de rendre à Dieu un culte public. (la fameuse République chrétienne). Les radicaux, au contraire, estiment que la religion est une affaire privée et que l’obligation de rendre un culte à Dieu n’existe que pour les particuliers).
Et nous en venons, enfin, à l’article proposé. Il faut se rappeler, qu’à cette époque vers 1870-80 on ne disposait pas de téléphone, de radio, de télévision, de réseaux sociaux et d’automobiles. L’unique moyen d’un parti politique pour présenter et défendre ses idées, son programme et pour se quereller, était le journal. Voici, à notre échelon local, un article paru dans « La Liberté ».
On nous écrit à la date du 8 mars (1881) :
« Il y avait dimanche (6 mars) élection paroissiale à Ecuvillens comme dans le reste du canton. Deux listes étaient en présence : celle des conservateurs-catholiques, et celle du parti indépendant. Cette dernière était patronnée, avec rage, par MM. Guinchard, juge, Pierre Wicky, Thadée Chenaux, Galley, syndic à Ecuvillens, Favre, officier de l’état civil, et soutenue entre autres par tous ceux qui ont voté dernièrement pour M. Marmier franc-maçon. La liste radicale ou libérale (qu’on l’appelle comme on voudra) a réuni la majorité, je ne veux pas dire par quels moyens, j’aurai occasion peut-être de revenir sur ce triste sujet. Vous dire par quels cris sauvages, par quels hurlements mêlés aux coups de mortier, on a célébré toute la nuit cette victoire, ce serait chose impossible. Il y avait là des beuglements frénétiques qu’on entendait d’Arconciel. La bacchanale a duré lundi toute la journée. Peut-être n’est-elle pas près de finir encore.
« Je me serais bien gardé de vous signaler ces scènes déshonorantes pour une paroisse autrefois si paisible et si catholique, mais si bouleversée depuis le 18 janvier de l’année dernière. Mais voici que maintenant, non content de beugler leur triomphe dans les auberges et sur les chemins, on s’attaque aux personnes, on injurie les passants.
« C’est ainsi que lundi, vers 5 heures, M. le curé de la paroisse traversait tranquillement le village de Posieux accompagné d’un curé voisin ainsi que deux professeurs d’Hauterive, MM. Michaud et Gremaud. Aussitôt une cohue de buveurs, parmi lesquels se trouvait l’un des nouveaux conseillers paroissiaux, se précipitèrent de l’auberge et poursuivirent ces quatre passants de huées frénétiques. Il est à remarquer que le juge Guinchard se trouvait présent. Je m’abstiendrai de toute réflexion et de tout commentaire sur de pareils faits. Cependant, à défaut d’autre justice, j’ai voulu en appeler à celle de l’opinion publique. Il est bon que l’on sache où aboutit, dans nos campagnes, la politique du parti indépendant, comme aussi il est juste que chacun sache ce qu’il faut penser de l’auberge de Posieux.
Un paroissien d’Ecuvillens »
Réponse du « Chroniqueur » du 13 mars 1881
Nous trouvons, dans le « Chroniqueur » de ce matin, une lettre signée par « plusieurs électeurs conservateurs de la paroisse d’Ecuvillens » où l’on conteste la plupart des appréciations de notre correspondant sur l’élection paroissiale du 6 mars et les manifestations qui l’ont accompagnée.
Mais nous remarquons qu’on ne dément nullement que deux ecclésiastiques, au nombre desquels était le curé même de la paroisse, avaient été insultés, lundi après-midi, au moment où ils passaient sur la route devant l’auberge de Posieux. Ce fait n’est ni avoué, ni nié, ni apprécié.
Tout ce qu’on en dit, c’est que M. Guinchard n’était pas devant l’auberge en ce moment-là et qu’il ne se trouvait même pas au village. Il nous serait agréable de savoir que ce démenti est fondé et qu’il y a eu erreur de personnes. Toutefois, nous devons attendre sur ce point les explications de notre correspondant, en qui nous avons une confiance pleinement méritée
Réponse de « La Liberté » du 15 mars 1881
On nous écrit le 14 mars :
« Aux quelques lignes que je vous adressais au sujet du scandale qui eut lieu le 7 mars à Posieux, le « Chroniqueur » et le « Bien public » me répondent par une longue et indigeste macédoine, où l’on trouve de tout, même des choses vraies. Certes, si l’abondance des paroles, si la violence des injures pouvaient suppléer au bon sens, il ne me restait qu’à céder la palme à mes contradicteurs. Mais pourquoi ce verbiage ? Il s’agit d’un fait bien simple, qu’il fallait (si l’on voulait s’en occuper) ou nier, ou approuver, ou condamner. Est-il vrai qu’au moment où passaient deux curés, accompagnés de deux professeurs (et non régents) d’Hauterive, des buveurs soient sortis de l’auberge de M. Guinchard pour huer grossièrement ces paisibles passants ? Est-il vrai qu’il y avait des membres du nouveau conseil paroissial ? Le « Chroniqueur » n’ose pas contester ce scandale ni le désapprouver, de crainte, sans doute, de déplaire à Messieurs les insulteurs, ses amis dévoués. Il voudrait bien y applaudir, mais les exigences de son programme l’en empêchent. Que faire donc ? Le seul parti qui restait à prendre était de passer le plus rapidement possible sur l’unique objet de cette polémique, pour se rabattre et s’étendre d’autant plus sur ce qui n’a jamais été en cause.
Le « Bien public » prend une position plus nette, mieux tranchée. Il nie tout, il nie même carrément le fait en question.
Si le « Bien public » a voulu nous donner par là un nouvel échantillon de sa véracité, certes, c’était peine superflue, car chacun sait de longue date ce qu’il faut penser de sa bonne foi.
Mais il est un détail auquel nos aimables contradicteurs semblent attacher une grande signification, vraisemblablement en raison de la haute importance du personnage en cause. M. Guinchard était-il à Posieux au moment où l’on aboyait à la soutane devant son auberge ? Le « Bien public » prétend que notre honorable juge se trouvait ce soir-là à Fribourg ; le « Chroniqueur » dit son côté qu’à 5 heures il était absent, mais qu’une heure plus tard il buvait placidement à l’auberge un verre de son excellent vin. En attendant que nos deux compères se mettent d’accord, répétons ce dont nous sommes très certains. Les huées de nos butors provoquèrent naturellement l’attention de tout le voisinage. Or, peu après la scène, nous avons vu, de nos yeux vus, devant l’auberge, M. Guinchard, en personne, avec son surtout gris battant sur ses bottes noires. Sortait-il de l’auberge en ce moment-là, venait-il de Fribourg ou peut-être de Matran ? C’est ce que je ne saurais dire.
Nos deux journaux affirment, au sujet des élections, qu’on n’a adressé une réclamation sur la représentation des deux listes au bureau, qu’après la formation de ce même bureau ; – qu’il n’existe qu’un seul parti à Ecuvillens ; que l’élection n’a été suivie d’aucun tapage, d’aucun bruit ( !)- que pas un verre de vin n’a été versé ( ??) etc. etc. Ces impudentes contre-vérités que toute une paroisse peut démentir sont bien propres à vous donner une idée de la cause de nos contradicteurs.
Mais, nous dira-t-on peut-être, pourquoi cherchiez-vous à modifier l’ancien conseil paroissial ? D’abord parce que c’était notre droit ; ensuite parce que nous autres paysans, nous trouvons, à tort ou à raison, comme nous avons l’habitude de le dire dans notre patois, que parmi ces honorables conseillers : hauque l’an veri cajaqua et que vôtont avui les francs-machons ne chont pas dignou det porta le paillou et det accompagni le bon Dieu.
(Voilà pour la présentation de cette très longue querelle où la virulence des propos est caractéristique de cette époque assez agitée. Il y a encore de nombreux articles, mais nous préférons cesser de vous narrer ces faits qui nous occuperaient encore fort longtemps. Peut-être reviendrons nous sur ce sujet…)
Auteur : René Gendre
Source: Hauterive Info no 22 – mars 2023 – Auteur: René Gendre
- Listing ID: 12090