avril 25, 2022

by Memo in

Interview du frère Marc de Pothuau, abbé d’Hauterive par J.D. Chavaillaz

 Culture / par Memo / 393 vues

En 2019 nous avions publié une très intéressante interview du frère Marc de Pothuau, abbé d’Hauterive effectuée par Jean-Denise Chavaillaz et qui avait été supprimée. Certains membres nous ont demandé de publier à nouveau cette rencontre et c’est très volontiers que nous adhérons à cette demande.

La vocation 

Q : Peut-on parler de vocation lorsque l’on décide de consacrer sa vie à Dieu ?
Précisément cette décision suppose que l’on reconnaisse que l’initiative vient de Dieu, c’est-à-dire que c’est Lui qui nous y appelle. « Vocation » vient de « vocare » (appeler en latin). On ne décide de consacrer sa vie à Dieu que si l’on reconnaît Son appel, mystérieux, profond, impératif et délicat à la fois. Celui qui m’a donnée la vie, me la demande, non pour me l’enlever, mais pour la partager avec moi car toute Sa joie est simplement d’être avec moi !

Q : Le milieu dans lequel on a grandi et vécu (familial, professionnel, associatif, etc.) est-il déterminant pour ce choix ?
Comment répondre à cet appel si je ne sais pas l’entendre ? C’est pourquoi, je vous réponds oui : le milieu dans lequel on a grandi et vécu est déterminant. Mais que détermine-t-il ?
Il permet d’écouter cet appel, mais il est tout à fait insuffisant pour le causer, d’une part, et pour y répondre, d’autre part. Autrement dit, sans mon éducation religieuse, sans mes amis, sans ma formation humaine et mon vécu, je n’aurais pas eu les mêmes moyens pour comprendre ainsi ce que Dieu attendait de moi. Je dois cependant ajouter aussitôt que j’en aurais eu d’autres sans doute car Dieu sait se servir de tout. J’insiste donc sur le fait que la vocation n’est pas une question de déterminisme : elle est le mystère d’une libre initiative de Dieu qui éveille une réponse libre de l’homme.

L’intégration dans la vie monastique  

Q : Pourquoi adhérer à l’ordre cistercien plutôt qu’à un autre ?
Jean Denis, pourquoi avez-vous choisi Marie-Christine et pas Marie-Chantal ? Il y a des choses qui s’impose, paisiblement ou non. Pour moi cependant, Hauterive fut un mariage de raison, je l’avoue. Je rêvais de Marie-Chantal… mais elle était malade alors j’ai choisi sa cousine qui me semblait en meilleure santé.
Durant une retraite dans une abbaye cistercienne, j’ai pu faire l’expérience qu’une communauté monastique m’aiderait à vivre en présence de Dieu, à l’écouter. C’est tout ! Tout était là. La vie monastique telle que les cisterciens la vivent me convenait. Et quand on a l’impression d’avoir touché tout, on ne cherche pas ailleurs : on plonge ! Mais avant de plonger, j’ai juste vérifié qu’il y avait assez d’eau et j’ai estimé qu’à Hauterive il y en avait suffisamment. Autrement dit, j’ai cherché une communauté assez étoffée pour m’accueillir et me former.

Q. Qu’est-ce que le noviciat et comment se déroule-t-il ? 
C’est un moment magnifique et terrible à la fois. On apprend à prier, à chanter, à lire la Bible, mais en fait on réapprend tout à partir de là, à manger, à s’endormir, à se réveiller, à marcher, à penser et à travailler, et finalement on apprend à apprendre puisqu’aimer c’est toujours commencer !
Cela dure plus de 2 ans et pour cela on se met en retrait des siens (avec très peu de visites) pour trouver une liberté intérieure et quitter le personnage que l’on jouait. C’est donc un grand dépouillement intérieur et extérieur. On a presque aucune responsabilité.
Le travail est simple et nous est donné au jour le jour. On n’a qu’une chose à faire se placer devant la réalité de Dieu qui nous habite et nous aime.
Plusieurs fois en rencontrant des gens en burn-out, j’ai pensé qu’il leur avait manqué un noviciat en début de carrière. C’est comme si le noviciat sert à ajuster le réglage intérieur sur Dieu, ou du moins à commencer cet ajustement qu’il faut vérifier ensuite toute la vie.
Le noviciat est par conséquent une sorte d’épreuve radicale au sens où il s’agit de vérifier que c’est bien Dieu qui appelle. Sinon il faut partir avant de s’engager réellement par les vœux.

Q : Prononcer les vœux : qu’est-ce que cela signifie pour le moine ? 
Cela signifie se jeter définitivement dans les bras de Celui qui nous aime.
Un vœu, c’est à la fois un désir, un souhait : « je veux me donner à Toi » ; c’est aussi une promesse, une parole qui engage mon avenir : « je veux me donner à Toi définitivement, c’est-à-dire chaque jour à nouveau » ; et enfin, un vœu est fondamentalement une prière : « j’ai un désir fou, qui suppose que je sois fidèle toute ma vie. S’il Te plaît, Seigneur, donne-moi la force de tenir ma promesse afin que je Te sois fidèle jusqu’à la mort ! ». Un désir, une promesse et donc une prière, voilà ce qu’est l’acte du vœu.
Et ce don radical de soi à Dieu s’exprime à travers la pauvreté, la chasteté, l’obéissance (rien à moi, personne à moi, pas de projet à moi), et la stabilité qui m’enracine en ce lieu, avec ces frères pour qu’ils me garantissent que je ne suis pas dans l’illusion. En effet, qui n’aime pas son frère qu’il voit n’aime pas Dieu qu’il ne voit pas, explique saint Jean (1Jn 4,20)

Q : En quoi consiste, quel est le but de la vie communautaire dans une abbaye telle que Hauterive ? 
Nous suivons la Règle de saint Benoît (VIe siècle) qui avait un sens extraordinaire du réalisme de la vie en Christ. Pour lui le moine apprend à vivre de la communauté qui l’accueille. Elle est le moyen de sa croissance en Dieu, mémoire vivante qui aide chacun à fuir l’oubli de Celui qui nous aime et nous donne tout, terrain permanent de l’entraide mutuelle, de la correction fraternelle et de la consolation réciproque. La communauté est le milieu éducatif par excellence qui transforme lentement notre cœur de pierre en cœur de chair. Mais elle est même plus qu’un moyen ! Elle est aussi un but, car en réalité Dieu mène la vie commune : Père, Fils et Esprit Saint, ils ne sont qu’un ! Dieu-Trinité est communion et c’est par une vie commune que j’apprends à goûter la vie divine.

L’intégration dans la vie monastique  

Q : En tant que français d’origine, quel a été votre cheminement jusqu’à Hauterive en pays de Fribourg ?
Quand j’ai compris que Marie-Chantal était malade, j’ai parlé au prêtre qui m’accompagnait. Lui connaissait Hauterive, et m’a dit : « Vas voir là-bas. J’y vais régulièrement. Ils viennent d’élire leur nouvel abbé en qui j’ai grande confiance. » C’était en 1994, il s’agissait de Dom Mauro-Giuseppe Lepori, mon prédécesseur élu ensuite Abbé général des cisterciens en 2010.

Q : Comment se déroule la vie communautaire au quotidien à Hauterive ?
Très bien ! Très régulièrement, et j’aimerais même pouvoir dire très simplement, mais au fond, la simplicité n’est pas si facile.
La vie (c’est-à-dire la journée, car la vie, ce n’est qu’aujourd’hui !) est rythmée par les offices liturgiques de 4.15 à 20.00, soit 4 h environ, entre lesquelles nous travaillons environ 5 h pour subvenir à nos besoins. Les moments communautaires nombreux (repas en silence, récréation, formation etc…) nous laissent aussi des temps de solitude pour la méditation de la Parole de Dieu et la prière intérieure.

Q : Le Père Abbé est-il le chef des moines ?
Oui, je vous avoue que je me pose aussi la question, parfois ! Le Père Abbé est le père de sa communauté et vous savez comme moi qu’un bon père fait un mauvais sergent-chef. Le Père abbé tient la place du Christ dans la communauté, dit saint Benoît au début de sa Règle. Puis il montre qu’en réalité le Christ s’identifie à chacun des moines. Autrement dit, la mission abbatiale consiste garder vive chez chacun la conscience que le Christ, le chef, Celui que l’on veut aimer et écouter, se cache et se révèle en chaque frère.

Q : Y a-t-il des sorties prévues pour les moines et comment se passent les contacts avec sa propre famille ?
Nous devrions sortir le moins possible, mais je dois confesser encore que le Covid-19 nous a aidé à être un plus observants. Nous ne sortons pas sans motif sérieux, vérifié avec le Père. Abbé (santé, formation, collaboration). Chacun peut visiter sa famille 4 jours par an, mais celle-ci peut venir en séjour à l’abbaye.

Q : Faut-il être un bon chanteur pour intégrer la communauté monastique, notamment celle d’Hauterive qui pratique le chant grégorien ? 
Si vous voulez être en bon terme avec le frère chantre, effectivement il vaut mieux éviter de chanter comme une casserole 4 h par jour. Il est patient, mais quand même ! Cela dit chanter peut aussi s’apprendre, et à raison de 4 h par jour, on arrive à faire quelques progrès. Mais même celui qui a plus de mal dans le chant trouve sa place dans la communauté, il doit seulement faire attention à ne pas monopoliser le micro quand il est au chœur. Pour devenir un moine, il faut avant tout désirer écouter.

  • Listing ID: 9851
Détails du contact

Autre *****

Contacter l'annonceur

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.