Frédéric Portas : un altaripien au secours des victimes du tremblement de terre en Turquie
Gens de chez nous / par Memo / 199 vues
Pourquoi avez-vous rejoint la chaine suisse de sauvetage et quelles conditions deviez-vous remplir pour pouvoir en faire partie ?
De par ma profession de militaire de carrière dans les troupes de sauvetage, il me tenait à cœur de pouvoir partir en intervention à l’étranger afin de venir en aide à la population en cas de catastrophe naturelle. De plus, ces engagements allaient me permettre de perfectionner mes connaissances professionnelles. Comme sauveteur, nous avons la chance de pouvoir connaître notre “guerre”.
Les conditions pour rentrer dans ce détachement d’intervention sont :
- Posséder des connaissances et des capacités techniques ainsi que pratiques dans le domaine du sauvetage ;
- Passer et réussir un examen médical selon les directives de “La Direction du développement et de la coopération” (DDC) ;
- Posséder une excellente résistance physique et psychique ;
- Faire preuve d’esprit d’équipe, de loyauté et de conscience du devoir ;
- Parler plusieurs langues ;
- Être disposé à partir à l’engagement dans le monde entier ;
- Être disposé à se faire vacciner afin de pouvoir partir n’importe où dans les plus brefs délais ;
- Avoir un casier judiciaire vierge.
Depuis combien de temps faites-vous partie de cette formation ?
Je suis rentré dans ce détachement d’intervention en 1999.
Etiez-vous déjà parti pour des catastrophes dues à un séisme ou était-ce votre premier engagement ?
Avant l’engagement en Turquie, j’étais déjà parti 3 fois. Ma première expérience était en Algérie en 2003. En 2009, je m’étais rendu à Sumatra et au Mexique en 2017. Donc, j’ai vécu mon 4ème engagement.
La nuit du 06 février vous avez reçu l’information qu’il y avait eu un tremblement de terre en Turquie et en Syrie. Comment se passe la suite ?
J’ai reçu l’alarme par téléphone à 05 heures 02 du matin. Suite à cela, je me suis rendu à mon bureau, à l’Etat-major de la Formation d’application du génie, du sauvetage et du NBC à Zuchwil, dans le canton de Soleure. Avec mes collègues de la cellule DBC 3/9, nous avons alarmé les membres de la chaine suisse de sauvetage et nous avons demandé leur disponibilité pour les 10 prochains jours. Au fur et à mesure que les réponses nous parvenaient, nous avons établi une planification de déploiement du détachement d’intervention. Des rapports de situation, des offres d’aide de la Suisse aux pays sinistrés, la préparation du matériel, la réservation et la planification d’un vol avec un avion de chez Swiss et j’en passe… Avec toutes ces démarches, nous étions prêts pour venir en aide aux deux pays en cas de nécessité et d’autorisation politique. C’est à 09 heures 36, que nous avons décidé de mobiliser la chaine suisse de sauvetage. Le point de contact était à 17 heures 30 à l’aéroport international de Zurich. De là, nous nous sommes rendus au centre de la Rega afin d’y effectuer un check médical de tous les intervenants, de signer les contrats d’engagement et de faire les premiers briefings d’engagement. À 21 heures 30, nous avons décollé de Zurich avec 18 tonnes de matériel, 87 personnes et 8 chiens de recherche pour rejoindre l’aéroport de Adana en Turquie. Nous avons atterri à 00 heure 47 (heure suisse) soit 02 heures 47 (heure locale). Notre terrain d’engagement se trouvait dans la province de Hatay au sud de la Turquie. Après avoir réglé les démarches administratives, passé les contrôles de sécurité, déchargé l’avion et rechargé le matériel sur des véhicules locaux, nous nous sommes déplacés en direction de la ville de Antakya. Nous avons eu besoin de 3 heures 45 pour rejoindre notre “Base of Operations” (camp de base) qui se trouvait à environ 200 km de Adana
Une fois sur place, le mardi matin 07 février à Antakya, comment l’organisation et la coordination se sont déroulées ?
Un détachement reconnaissance composé de 8 personnes était parti durant la journée du lundi afin de faire le point de la situation sur place et de coordonner l’engagement de la chaine suisse de sauvetage. L’agence publique de secours AFAD avait délimité des secteurs d’engagement dans la ville de Antakya et les attribuaient aux différentes nations présentes sur place. C’était le chaos total et nous, les suisses, étions le premier détachement d’intervention à arriver sur place. À 11 heures le mardi 07 février, je me suis rendu avec mon équipe sur le terrain afin de commencer les sauvetages.
Comment avez-vous été accueilli sur place ?
L’accueil a été très positif étant donné que nous étions les premiers sauveteurs que la population voyait depuis le tremblement de terre. Pour eux, nous étions ceux qui allaient tout tenter pour sauver leurs proches qui étaient sous les décombres.
Une fois sur place il faut réagir vite c’est donc une course contre la montre pour sauver des victimes encore vivantes sous les décombres. N’y a-t-il pas une envie de vouloir sauver en permanence ?
Oui, dans une telle situation, notre seule préoccupation est de sauver le plus de vies possibles. Chose que nous avons pu faire avec succès durant cet engagement en Turquie. Les onze personnes que nous avons sorties des décombres est une fierté immense et la récompense des sacrifices effectués tout au long de la formation.
Par contre, un point qui ne doit jamais être oublié est, notre propre sécurité. Je portais la responsabilité de 30 personnes et je ne voulais en aucun cas devoir perdre un membre de mon équipe à cause de la fatigue ou un manque de sécurité. Nous faisions des relèves de 12 heures entre mon Team et celui de mon collègue. Ceci permettait à chacun de se reposer et de reprendre des forces pour la suite de la mission.
Que se passe-t-il dans la tête quand on doit arrêter après un certain nombre d’heures tout en sachant qu’il y aurait d’autres personnes encore à sauver ?
Comme mentionné précédemment, nous faisions des tournus de 12 heures entre le Team ALPHA et le Team BRAVO. Donc si une équipe n’arrivait pas à terminer le sauvetage d’une personne après ces 12 heures de travail, c’est l’autre équipe qui s’en chargeait. Mais je vous rassure, jamais, on abandonne une personne vivante dans les décombres dès que nous l’avons localisée. On effectue le sauvetage d’une manière ou d’une autre jusqu’à son terme.
Vous avez vécu différents scénarios émotionnels : de la joie, de la tristesse. Comment peut-on faire face à de tels changements ?
On sait à l’avance, que dans ce genre de mission, la joie et la tristesse sont très proches l’une de l’autre. On se prépare aussi à ce genre d’émotions. Grâce à ma profession, j’ai appris à gérer les moments plus durs.
Au moment où l’on sort une victime vivante et que les familles vous applaudissent, vous avez le sentiment du devoir accompli. L’euphorie du sauvetage effectué ne dure jamais bien longtemps, car dès que l’on se retourne, on voit la tâche qui nous attend encore. Nous savons immédiatement que d’autres personnes attendent notre aide. On ne se pose pas trop de question et on repart au travail en espérant avoir autant de succès qu’avec la personne précédente. Malheureusement, parfois le résultat n’est pas le même et on doit faire abstraction de cela…
Nous avons une mission et l’on doit se concentrer sur cette dernière, à savoir, “SAUVER DES VIES”.
Vous êtes rentré il y a quelques jours à la maison. Comment allez-vous ?
Je vais très bien, merci…Le fait de pouvoir reprendre une vie normale, de retrouver ma femme et mes deux fils fait un bien énorme. D’ailleurs, je profite de l’occasion qui m’est offerte pour les remercier du fond du cœur pour leur soutien indéfectible et pour leur compréhension.
Arrivez-vous à trouver le sommeil ?
Oui, sans problème…Vous savez, durant toute la durée de l’engagement, nous dormions sous tente et les températures étaient froides, entre -7° et -10°. De plus, entre le bruit des engins de sauvetage, des machines de chantier et surtout des répliques qui étaient nombreuses, on ne dort pas énormément. Donc, quand on rentre, je vous assure que le sommeil vient immédiatement.
Y a-t-il un soutien psychologique mis en place après une telle expérience ?
Oui, des psychologues de la DDC nous ont rejoint en Turquie la veille de notre départ. Là, ils ont fait un débriefing avec tous les intervenants avant même de reprendre l’avion pour le retour à Zurich. De plus, en cas de besoin, chacun peut contacter le service psychologique après notre retour au pays
Source: Hauterive Info no 22 – mars 2023 – Auteur: Claudio Berta
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